Flash info : les infractions de mise en danger délibérée de la vie d’autrui et de blessures ou homicide involontaires : éléments constitutifs

Flash info : les infractions de mise en danger délibérée de la vie d’autrui et de blessures ou homicide involontaires : éléments constitutifs

La presse rapporte que des plaintes ont été déposées auprès de la Cour de justice de la République contre plusieurs membres du Gouvernement[1]. La mauvaise gestion de l’épidémie de CoVID-19 leur y serait reprochée.

Pour rappel, les membres du Gouvernement sont pénalement responsables devant la Cour de justice de la République pour les crimes et les délits commis dans l’exercice de leurs fonctions[2].

En l’espèce, les plaintes déposées à leur encontre évoqueraient notamment les trois infractions pénales suivantes :  mise en danger délibérée de la vie d’autrui (1), blessures involontaires et homicide involontaire (2).

Quels sont les éléments constitutifs de ces différentes infractions ?

      1. La mise en danger délibérée de la vie d’autrui

L’article 223-1 du code pénal dispose :

« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

La présence, au moins potentielle, « d’autrui » est donc indispensable. L’infraction ne requiert pas que l’auteur ait provoqué de dommage, la réalisation du dommage faisant tomber les faits dans les hypothèses d’atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne, ces infractions n’étant pas cumulables[3].

Il doit exister une exposition directe à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente : l’infraction exige un lien de causalité direct et immédiat entre la faute et le danger, que les juridictions sont tenues de caractériser ce lien de causalité[4].

Il n’est néanmoins pas nécessaire que l’auteur du délit ait connaissance de la nature du risque particulier causé par son comportement. En outre, cette faute ne doit pas nécessairement être la cause exclusive du danger[5].

S’agissant de l’élément intentionnel, l’infraction est caractérisée lorsque la violation de l’obligation de prudence ou de sécurité légale ou règlementaire est manifestement délibérée. Ce caractère manifeste (manifestus : pris avec la main) est en pratique retenu par les juges lorsque la violation de l’obligation de sécurité ou de prudence, par sa nature ou sa gravité, exclut nécessairement qu’il s’agisse d’une omission, d’un manquement, mais bien d’un acte positif par lequel l’auteur agit sciemment. Du reste, il n’est pas nécessaire d’avoir l’intention d’exposer autrui au risque : il suffit de contrevenir délibérément à l’obligation.

La violation ne doit donc pas procéder d’une simple inattention, maladresse, imprudence mais d’un comportement manifestement délibéré. Selon la jurisprudence, la preuve du caractère manifestement délibéré de la violation peut résulter de la réitération des agissements reprochés ou de l’accumulation d’imprudences simultanées ou successives[6].

La nature de cette obligation sera plus précisément développée dans le (2).

      2. Homicide involontaire et blessures involontaires  

L’article 221-6 code pénal incrimine l’homicide involontaire en ces termes :

“Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende.

Les articles 222-19 et suivants du code pénal répriment quant à eux les infractions d’atteintes involontaires à l’intégrité des personnes (ou blessures involontaires).

Ces infractions sont de même nature et ne diffèrent que par leurs conséquences[7], selon la survenance de blessures ou de la mort de la victime. Ils renvoient à l’article 121-3 qui, depuis la loi du 10 juillet 2000, opère une distinction, s’agissant des personnes physiques, entre l’auteur direct et l’auteur indirect du dommage :

« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

 Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.

 Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

 Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

 Il n’y a point de contravention en cas de force majeure. »

Ainsi, il est nécessaire de déterminer préalablement la nature du lien de causalité (b) entre la faute et le dommage (a) pour déterminer le degré de gravité de la faute à caractériser (c).

      a. Le dommage

Il est nécessaire d’établir la survenance du dommage, étant précisé que le dommage consiste, en ce qui concerne le délit d’homicide involontaire, non en une perte de chance de survie mais dans le décès[8].

En outre, il n’importe pas que les conséquences dommageables de la faute aient été ou non prévisibles pour son auteur[9].

      b. Le lien de causalité

               i. Un lien de causalité direct ou indirect

Depuis la loi n°2000-647 du 10 juillet 2000, lorsque la personne mise en cause est une personne physique (par opposition aux personnes morales), il faut distinguer selon que le comportement fautif a directement causé le dommage ou qu’il a seulement contribué à sa réalisation (on parle alors de causalité indirecte).

En effet, les personnes physiques qui ont causé directement le dommage sont pénalement responsables quelle que soit la gravité de leur faute, c’est-à-dire y compris en cas de simple imprudence ou négligence (Article 121-3, al.3).

A contrario, celles qui ont « seulement » créé ou contribué à créer la situation qui a causé le dommage, ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, n’engagent leur responsabilité pénale que s’il est établi qu’elles ont :

  • soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;
  • soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

(Article 121-3 alinéa 4).

               ii. Un lien de causalité certain      

Que celui-ci soit direct ou indirect, il est nécessaire de démontrer que le lien de causalité entre la faute, quelle qu’elle soit, et le dommage, est certain[10].

La cause n’a pas à être exclusive, immédiate ou directe dans la survenance du dommage[11]. Il a par exemple été jugé, à propos d’une victime décédée des suites d’un cancer du poumon, ayant subi à l’occasion d’un accident de la circulation, des blessures ayant hâté sa mort, que l’auteur de l’accident, bien que celui-ci ne constituât pas la cause directe et exclusive du décès, était coupable d’homicide involontaire dans la mesure où il l’avait précipité.

Ainsi, il est de jurisprudence constante que les prédispositions de la victime n’exonèrent pas l’auteur d’une faute ayant concouru à la réalisation du dommage[12].

Toutefois, la cause doit être certaine. Seule une cause efficiente sera prise en compte : lorsqu’un acte ne fait que créer les circonstances qui permettront la réalisation de l’atteinte par autrui, il n’est pas réprimé[13].

En outre, une simple probabilité, serait-elle élevée, n’est pas suffisante : par exemple, dans l’affaire dite du sang contaminé, l’impossibilité de rattacher avec certitude les contaminations des victimes à des fautes commises par les médecins postérieurement à la date à laquelle il était acquis que la communauté scientifique et médicale ne pouvait plus ignorer la dangerosité de ces produits, a conduit à un non-lieu des chefs d’homicides et de blessures involontaires[14].

      c. La faute

Selon que le lien de causalité entre le dommage et la faute est direct ou indirect, la caractérisation de l’infraction implique, si le mis en cause est une personne physique, une faute d’une gravité différente.

Dans le cas d’une causalité directe, une simple faute d’imprudence, de maladresse, de négligence ou d’inattention sera suffisante.

Dans le cas d’une causalité indirecte, est exigée une faute dite qualifiée, c’est-à-dire soit la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que le mis en cause ne pouvait ignorer.

La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement peut résulter, à titre d’illustration, de la violation des obligations en matière de sécurité au travail en hauteur pour un entrepreneur qui n’a pas assuré la protection de ses employés, en se dispensant d’une surveillance particulière du chantier le jour de l’accident et en se contentant de s’informer auprès des ouvriers sur le point de savoir s’ils avaient ou non besoin du filet de sécurité[15].

Quant à la faute caractérisée, elle s’analyse comme un manquement caractérisé à des obligations professionnelles essentielles ou comme l’accumulation d’imprudences ou de négligences successives témoignant d’une impéritie prolongée[16]. Elle permet de sanctionner les individus qui ont causé un dommage en commettant un acte qui ne violait pas particulièrement une obligation législative ou réglementaire.

Ainsi, il est de jurisprudence constante que le directeur d’un établissement hospitalier a le devoir de fournir un matériel adapté et un personnel ayant les qualifications requises pour assurer la sécurité des patients, laquelle ne saurait dépendre de l’existence ou de l’absence de législation[17].

[1] “Coronavirus : Philippe, Véran et Buzyn visés par au moins cinq plaintes”, 25.03.2020, L’Express

https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/coronavirus-philippe-veran-et-buzyn-vises-par-au-moins-cinq-plaintes_2121922.html

[2] Article 68-1 de la Constitution, alinéas 1er et 2ème

[3] Crim, 11 sept. 2001, Bull crim. n° 176.

[4] Crim. 16 févr. 1999: préc. note 26.

[5] Crim. 30 oct. 2007: Bull. crim. n° 261; D. 2008. Pan. 2397, obs. Trébulle; AJ < pénal > 2008. 91, obs. Lavric; Gaz. Pal. 2007. 2. Somm 4136, note M. B.; Dr. < pénal > 2008. 65, obs. Robert; RSC 2008. 75, obs. Mayaud.

[6] Crim. 5 janv. 2005, Gérard X. et a., no 04-82.738.  – Crim. 29 juin 2010, no 09-81.861, préc.

[7] Douai, 2 juin 1987: Gaz. Pal. 1989. 1. 145, note Doucet; JCP 1989. II. 21250, note Labbée; RSC 1989. 319; ibid. 740, obs. Levasseur.

[8] Crim. 20 nov. 1996, no 95-85.013

[9] Crim. 4 nov. 1971: Bull. crim. no 300; D. 1972. Somm. 20 ;  17 nov. 1971: Gaz. Pal. 1972. 1. 161.

[10] Crim. 14 févr. 1996, no 95-81.765 P: RSC 1996. 856, obs. Mayaud ●  Metz, 8 janv. 1998: BICC 1998. 1324

[11] Crim. 18 oct. 1995, no 94-80.607.

[12] Crim. 23 févr. 1972: Bull.crim n° 76.

[13] Cass.crim., 5 oct. 2004, Bull.crim. n° 230 et 236.

[14] Cass. crim., 1er oct. 2003, Bull.crim. n° 177.

[15] Rennes, 6 mars 2003: JCP 2004. IV. 1122.

[16] Lyon, 28 juin 2001: D. 2001. IR 2562; Gaz. Pal. 2001. 2. 1140, note Petit; RSC 2001. 804, obs. Mayaud (sur renvoi après cassation par :Crim. 12 déc. 2000: préc. note 8) et Paris, 24 janv. 2002, no 00/05096; confirmé par :Crim. 10 déc. 2002, no 02-81.415 P: Dr. pénal 2003. 45 (2e arrêt), obs. Véron; RSC 2003. 332, obs. Mayaud et Grenoble, 4 juill. 2007: JCP 2007. IV. 3248.Constituent des fautes caractérisées, au sens de l’art. 121-3, al. 4, C. pén., dans sa rédaction issue de la L. du 10 juill. 2000, commises par un médecin anesthésiste, de nombreux manquements en présence d’un risque connu: ainsi le fait qu’il ne se soit pas déplacé, ou qu’il ne soit pas demeuré en permanence au chevet du malade pour adapter en temps réel les prescriptions utiles (mais sa responsabilité n’est pas engagée, en l’absence d’une causalité «directe, certaine et exclusive» avec le décès) :Pau, 2 mai 2001: JCP 2001. IV. 3098.

[17]  TGI Bobigny, 7 juill. 1999: Gaz. Pal. 2000. 1. 612, note Bonneau.

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