Un sujet controversé, remis au centre des débats par le rapport Gauvain. La création d’un statut d’avocat en entreprise en France fait, depuis plusieurs décennies maintenant, l’objet d’une controverse, réalimentée dernièrement par la publication du rapport « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », présenté par le député Raphaël Gauvain le 26 juin 2019. Dans ce rapport, le député, écartant d’autres solutions qui auraient pu, selon lui, être envisagées(1), préconise, à l’instar de ce qui est d’ores et déjà l’usage dans nombreux pays partenaires économiques de la France, d’autoriser les avocats à exercer en entreprise en étant dotés d’un statut et d’un secret professionnel adaptés à leur situation particulière. Cette solution, déjà préconisée dans le cadre de divers rapports(2) et débats parlementaires(3), nourrit les dissensions dans les instances représentatives de la profession d’avocats comme au sein des entreprises et directions juridiques et chez les magistrats(4).
S’agissant des avocats, d’un côté, la Conférence des bâtonniers « refuse catégoriquement la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise », considérant que ce statut est incompatible avec l’indépendance propre aux avocats(5). De même, nombre de syndicats, tels que le SAF et la FNUJA, rejettent cette proposition. De l’autre, le barreau de Paris comme certaines organisations telles que l’association des avocats conseils d’entreprises (ACE), se déclarent en faveur d’une telle évolution de la profession. Le barreau de Paris a ainsi entamé de façon indépendante du reste des institutions représentatives de la profession des démarches en ce sens : vote dès le 8 juin 2004 d’une résolution favorable à l’exercice en entreprise des avocats, publication d’un modèle de contrat d’avocat salarié en entreprise(6), insertion à l’article p. 31 du règlement intérieur du barreau de Paris (RIBP) de la possibilité, sous réserve d’une autorisation de l’Ordre, pour les avocats inscrits au barreau de Paris, d’exercer à l’étranger en qualité de salarié d’une entreprise privée ou publique(7).
Au final, en 2014, selon une étude d’impact CSA-EY commandée par le CNB(8), l’idée de la création d’un statut d’avocat en entreprise faisait l’objet d’un rejet par 80 % des avocats participants. En 2019, ce sont 60 % des avocats qui rejettent cette proposition, selon le sondage publié le 27 juin 2019 dans le cadre des États généraux de l’avenir de la profession. En présence de ces divisions profondes, le Conseil national des barreaux (CNB) a quant à lui adopté une position plus mitigée. Il s’est opposé aux propositions du gouvernement de réformer en ce sens la profession d’avocat(9), mais a pu, dans le même temps, sembler faire un pas en ce sens, notamment en proposant d’admettre la domiciliation des avocats dans les locaux d’une entreprise(10). L’avocat salarié en entreprise ne verra ainsi en réalité le jour que lorsque la profession – et plus largement, les professions du droit – sauront trouver entre elles un consensus sur cette question.
Si, comme avocats pénalistes, nous ne pouvons adhérer pleinement, en l’état actuel des propositions, à l’institution d’un avocat en entreprise, l’évolution de la conception de l’avocat et de son secret professionnel peut cependant apparaître utile à la préservation, voire à la reconstruction des liens entre les avocats et le monde de l’entreprise. Une telle évolution ne serait toutefois souhaitable que sous réserve de définir un statut de l’avocat en entreprise, assorti d’un régime protecteur garantissant son utilité et sa singularité – protection qui ne doit pas être sacrifiée au nom de l’efficacité de la justice pénale et de la prise en considération des contraintes budgétaires qui interdiraient aux enquêteurs et aux magistrats, d’exploiter en temps utile les documents et fichiers numériques saisis en perquisition.
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