« L’inquiétude naîtrait si, à la lumière de l’activisme des services dans le cadre de l’état d’urgence, on venait à imaginer d’en faire, certes, en l’amodiant, un régime de droit commun, l’estimant bien plus efficace que la lourde machine judiciaire » ; « il y aurait là, bien évidemment, un risque considérable pour l’État de droit car les nombreuses normes imposées, par le législateur aux magistrats, notamment dans leur activité pénale, ont, pour leur immense majorité, l’objectif d’assurer une procédure équitable et contradictoire, une égalité des armes et une protection efficace des libertés individuelles »
Aux lendemains de l’adoption définitive du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme le 11 et 17 octobre 2017 par l’Assemblée nationale et le Sénat et de la promulgation de la loi du 30 octobre, force est de constater que les interrogations et les craintes de M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, exprimées lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 14 janvier 2016, ont trouvé une réponse et sont aujourd’hui devenues réalité.
La logique qui sous-tend la loi adoptée par le Parlement se distingue en effet très peu du régime de l’état d’urgence, dont il constitue la pérennisation en droit commun.
Ainsi et comme avec la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence des mesures de police administrative pourront être décidées par l’autorité administrative agissant seule ou presque dès lors qu’il existe « des raisons sérieuses de penser » que le « comportement » de l’individu « constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics » ; raisons sérieuses auxquelles la loi ajoute le critère de la « relation habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme » ou du soutien, de la diffusion « lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ». La « formule magique », et mortifère des raisons sérieuses de penser », que l’on a vu naître avec la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015, et qui en réalité, « dispense de démontrer en quoi le comportement de l’intéressé constitue une menace » a donc été transposée en droit commun. Le soupçon, l’abandon de la conception de la culpabilité attachée à la commission d’un acte pour y préférer les concepts de neutralisation et de dangerosité, sont les marqueurs philosophiques de ce nouveau dispositif législatif aboutissant à sanctionner une intention, qualifiée de dangereuse, et non un acte positif. L’adoption de la loi marque donc la dissémination de la notion de dangerosité dans notre système juridique,alors qu’avec [celle-ci], on entre dans une logique d’anticipation qui, par définition, n’a pas de limites ».
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