L’épidémie du Covid-19 affecte ou remet en cause l’exécution d’un très grand nombre d’obligations contractuelles, dans tous les secteurs d’activités. Face à cette situation, les contractants doivent s’adapter. La force majeure, voire l’imprévision, peuvent constituer les fondements juridiques de la nécessaire adaptation de la relation contractuelle à cette situation extraordinaire.
1. La force majeure
Sans plus de distinction à ce stade en fonction des contrats concernés, la qualification d’évènement de force majeure de l’épidémie de Covid-19 est acquise depuis notamment la déclaration officielle du Ministre de l’économie du 28 février 2020 annonçant l’application de la force majeure liée au Covid-19 pour les entreprises, déclaration qui a précédé celle d‘épidémie du 29 février 2020. Il est possible également de découvrir des événements de force majeure dans la déclinaison des textes réglementaires adoptés en conséquence de cette situation générale d’épidémie, comme par exemple le décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus. En fonction de la situation contractuelle et l’activité dans laquelle elle est ancrée, les contractants ne subissent pas nécessairement un événement de force majeure à travers l’existence officielle de la situation d’épidémie mais seront plus susceptibles d’en subir un du fait de telle ou telle restriction réglementaire subséquente.
Sur un plan juridique, la force majeure est définie par l’article 1218 du code civil dans sa version en vigueur au 1er octobre 2016 applicable aux contrats conclus après cette date et par l’article 1148 ancien du code civil pour les contrats conclus avant cette date, le premier reprenant les principes édictés par le second ainsi que ceux dégagés par la jurisprudence y afférente :
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
Il ressort de ce texte que la force majeure se définit principalement par son caractère imprévisible et irrésistible.
Une première vérification s’impose aux contractants : n’ont-ils pas écartés l’application de la force majeure au contrat par une stipulation spécifique ? En effet, la loi est en la matière supplétive de la volonté des parties. Dès lors, si une telle stipulation existe dans le contrat, il ne peut être recouru à la force majeure pour procéder à une adaptation de l’exécution du contrat aux circonstances actuelles.
Une seconde vérification s‘impose : le contrat a-t-il été signé avant ou après chaque événement qualifiable de force majeure (avant ou après le 29 février 2020, avant ou après l’ordonnance du 12 mars par exemple). S’il a été signé après, le critère d’imprévisibilité n’est plus rempli : les contractants connaissaient la situation mais ont décidé néanmoins de contracter. Ils doivent donc en assumer le risque.
Une fois ces vérifications préalables faites, le contractant qui entend se prévaloir de la force majeure doit déterminer avec précision les effets de l’événement de force majeure sur l’exécution de ses obligations. L’exécution est-elle réellement menacée par la force majeure – des mesures appropriées ne permettent-elles pas de la sauvegarder ? L’exécution est-elle partiellement, momentanément ou définitivement empêchée ?
Si l’exécution est partiellement empêchée, le débiteur de l’obligation n’est libéré que de l’obligation concernée par le cas de force majeure.
Si l’exécution est momentanément empêchée, elle est suspendue le temps nécessaire au rétablissement des conditions permettant l’exécution (selon une appréciation objective et raisonnable).
Si l’exécution est définitivement empêchée (d’emblée ou après un empêchement momentané qui durerait trop longtemps), le contrat est résolu de plein de droit et il faut remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat.
Au débiteur de choisir une argumentation qui permette de recourir à la notion de force majeure de manière proportionnée à la situation.
Dans tous les cas, le débiteur empêché dans son exécution doit notifier à son contractant le cas de force majeure en expliquant de manière précise les conséquences sur l’exécution de son obligation, et ne pas le mettre devant le fait accompli – les obligations générales de bonne foi et de loyauté continuent à s’appliquer. Un degré significatif de précision est attendu du débiteur empêché pour permettre à son contractant d’apprécier les conditions de recours à la force majeure. Il ne s’agit pas de notifier une mise en œuvre motif pris des mesures générales de confinement édictées par le gouvernement. Il convient d’isoler le fait justificatif directement né de la situation d’épidémie et de démontrer l’impact effectif, tangible, sur l’exécution de l’obligation concernée. Ainsi, l’entreprise de bâtiment qui souhaiterait suspendre l’exécution d’un chantier devra par exemple expliquer ce qui rend impossible l’adaptation du chantier aux nouvelles exigences de sécurité de ses salariés.
Si le recours à la notion de force majeure est fondé et correctement mis en œuvre par le débiteur, le créancier de l’obligation ne peut pas réclamer de dommages et intérêts pour inexécution ou exécution tardive.
Enfin, il convient de noter que certains secteurs d’activités sont réglementés par des textes spécifiques d’application impérative permettant de régler plus facilement le sort du contrat affecté par un cas de force majeure, ainsi l’organisation de séjour (article L. 211-14 du code de tourisme) ou le transport aérien par exemple (règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004).
2. L’imprévision
L’introduction de l’imprévision dans le droit français des contrats constitue une nouveauté de la réforme de 2016 du droit des obligations. Ainsi l’article 1195 du code civil dans sa version en vigueur au 1er octobre 2016 applicable aux contrats conclus après cette date dispose :
« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »
Là-aussi deux vérifications préalables s’imposent au contractant qui souhaiterait faire jouer l’imprévision : le contrat a-t-il été conclu après le 1er octobre 2106, date d’entrée en vigueur de la loi ? Le contrat n’écarte-t-il pas l’application de cette disposition légale supplétive de la volonté de parties par une clause spécifique ?
Ensuite, si la condition d’imprévisibilité de la situation se retrouve comme pour la force majeure, tel n’est pas le cas du caractère irrésistible de la situation. Le texte prévoit ici que l’exécution n’est pas compromise mais rendue excessivement onéreuse.
C’est donc la démonstration de ce caractère excessivement onéreux d’une poursuite de l’exécution du contrat qui est attendue de la partie qui entend se prévaloir des dispositions de l’article 1195 du code civil.
Enfin, il faut relever une différence fondamentale avec la situation de force majeure : l’imprévision ne permet pas de prendre l’initiative de suspendre ou d’arrêter l’exécution de ses obligations. Il faut pour cela l’accord de l’autre partie ou une décision du juge. Dans l’attente, le débiteur de l’obligation est tenu d’exécuter le contrat.